mardi 14 octobre 2008

Pomier ch. 32, 35-39

Peut-on parler d'une « politique des auteurs »?

Pomier dit que l'anonymat est essentiel si on veut être considéré un « auteur » de bande dessinée, et cite Carl Barks {qui a créé Picsou} et Siegel et Shuster, les créateurs de Superman. Ça me fait penser un peu de l'écorché vif, qui souffre en silence et qui est martyrisé comme Elliot Smith; l'idée qu'il faut rester anonyme et non reconnu pendant des années me semble un peu ridicule. Hitchcock n'a pas été anonyme; en fait, il a paru dans tous ses propres films.
Pomier dit aussi que seul un artiste dont le dessin est coloré et encré par quelqu'un d'autre peut faire du travail reconnaissable comme celui de lui-même, comme Bill Sienkiewicz {voici quelques exemplaires de son travail}.
Par contraste, il y a les séries dessinées par plusieurs artistes différents, comme Superman {voir ce message}. C'est un peu comme les émissions de télévision qui changent au cours des années; dans ce cas-là, on voit les introductions différentes pour la même série qui a été vendue par Nickelodeon à Disney.

Dans les cas où change le scénariste ou le dessinateur alors que l'autre reste, on a tendance à choisir ce qui est loyal - ce qui reste avec la BD - comme auteur. Pensez à Crosby, Stills, Nash, et Young. En regardant ce lien, il ne faut que lire le titre afin de comprendre ce qui ne fait plus partie du groupe.

Enfin, il y a les associés qui partagent tout, comme Dupuy et Berberian {qui partagent même l'adresse de leur site web}. Cette collaboration, où l'on ne peut pas savoir à qui chaque idée appartient, est vu aussi dans le monde de cinéma, avec les frères Wachowski ou les frères Coen, par exemple.

Réalisme ou « gros nez »?

Je suis tout à fait d'accord avec Pomier en ce qui concerne la dichotomie des mondes « réalistes » et « humoristiques ». Avant de parler de ce dont parle Pomier ici, je pense qu'il faut demander: quand un créateur de bande dessinée décide de la commencer, est-ce qu'il {ou elle} se demande dans quel monde sera sa BD? Je pense que non. Si l'on veut séparer le champs de bande dessinée, il lui faut beaucoup plus que deux genres.

Le style « gros nez » va prétendument avec le genre humoristique, y compris le travail d'Uderzo,
Greg,et Florence Cestac.

Il y a plusieurs autres BDs que cite Pomier comme des BDs humoristiques à cause de la rondeur de leur dessin. Mais...si l'on désigne le genre d'une BD selon la forme du dessin, que dirait-on de Koma, avec sa mignonne héroïne aux grands yeux, et son message assez noir, que le monde industrialisé n'a plus rien pour nous, et qu'une jeune fille ne peut même avoir une enfance? Est-ce humoristique? Ou bien, les dessins politiques, comme celui-ci:

Bien que les personnages aient des gros nez, le message est sérieux. Donc, avec cette dichotomie, comment appellerait-on ce dessin? « Réaliste, mais avec de l'humour et des gros nez? »

Il est certain qu'il y a des BDs qui s'organisent dans ces deux genres, mais ce n'est pas toujours évident, comme avec celles où l'on mélanges les styles, par exemple dans Le Petit Christian:
Ici, il est évident que Blutch est bien capable de dessiner quelque chose de « réel », étant donné l'image au deuxième strip de l'homme qui crie, mais c'est difficile de mettre la BD dans un genre particulier.

Je conclus ce chapitre avec un petit visionnage. Quand on analyse la poésie {ou la BD}, est-ce qu'on peut la considérer avec des chiffres et des graphiques?



Couleur ou noir et blanc?

Je trouve que, d'habitude, le choix entre couleur et noir et blanc s'agit de deux choses l'une: soit le temps de colorer manque {ce qui ne peut pas être le cas pour beaucoup d'autres formes d'art, comme la peinture, le cinéma, et la photographie}, soit l'artiste veut s'exprimer dans un style particulier; le noir et blanc est souvent associé avec l'antiquité, la simplicité, l'élégance, etc., et la couleur est bien utile en ce qui concerne le symbolisme {noir = la mort, ce qui n'est pas certain, le mal, etc.}.

Choisir un coloriste qui peut préserver le trait d'un dessinateur est important; sinon, ce que veut montrer le dessinateur peut être perdu pour toujours. Voici le travail d'un coloriste soigneusement choisi, Anne Delobel:Bien qu'on n'ait pas vu la version d'avant {sans couleur}, j'ai l'impression qu'elle a bien préservé les intentions de Tardi, et c'est pour ça qu'il se fie à elle.

Il y a aussi les « maîtres » du blanc et noir, comme Hugo Pratt {la hachure et les ombres sont surtout impressionnantes}:

Grâce à la technologie, il y a des BDs dont la couleur est bien maîtrisée et ne gâche pas du tout le dessin, comme celles d'Alex Barbier:



On a parlé également de Feux de Mattotti comme une œuvre où la couleur est bien utilisée, mais ce que j'ai trouvé surtout intéressant, c'était le fait qu'il emploie la synesthésie {par exemple une voix « de verre »}. Quoique je croie que vous en avez déjà entendu, ce terme décrit aussi une condition neurologique qu'a l'un de mes amis, qui me parle quelquefois des couleurs des numéros; je me demande s'il y avait jamais des auteurs de BDs avec cette condition.

Finalement, il existe aussi des BDs qui utilise la couleur {ou la couleur et le noir et blanc} avec des buts spécifiques, comme l'épisode de Théodore Poussin

dans laquelle on parle de la jeunesse du héros:

L'action se déroule, dans un sens, dans un monde de rêves, comme celui de Dorothy du Magicien d'Oz, où l'addition de couleur change tout {bien qu'ici, c'est seulement la façon dont on emploie la couleur}.

Voici un extrait de La Tour de Peeters et Schuiten, avec un mélange de couleur et blanc et noir:



Ça n'est pas la seule façon dans laquelle on mélange les styles de couleur, ou le blanc et noir avec la couleur; on pourrait trouver plusieurs exemplaires.

Voici une séquence émouvante du film "Schindler's List" qui utilise cette technique.




Qu'est-ce qu'un style?

Pomier parle ici des styles de plusieurs créateurs de BD; je ferai une petite liste afin de ne pas trop écrire.

1. Le style lexical, e.g. la diction dans l'œuvre de Gotlib


Ici, Gotlib emploie le verbe « se chamailler », que j'ai jamais vu avant, et je pense même qu'il se moque de soi un peu, parce que Wothan est un dieu scandinave et le dieu ici parle de l'humour juif {et lui aussi, il est juif}.

On peut aussi employer les jeux de mots, l'argot {utilisé un peu dans Monsieur Ferraille et Koma}, le langage raffiné, etc.

2. Le genre funny animals {vu très souvent chez les studios Disney}

3. la réorganisation du corps humain, comme l'exagération des muscles de Tarzan, ou la représentation architecturale de Schuiten

4. les codes de Réseau Madou, où les personnages étudient des codes de bandes dessinées et le style s'adapte à eux {comme c'est poste-moderne!}


On voit ici les « hachures » dont il parle dans le dessin même.

5. Il y a des auteurs qui changent leur style dans chaque nouvelle BD, comme avec deux oeuvres différentes de Moebius.

6. Il y a des auteurs qui changent leur style dans le même album de BD, comme dans Kitaro


Ici, le décor est beaucoup plus détaillé que ne le sont les personnages, comme la juxtaposition du monde réel avec les dessins animés dans le film "Who Framed Roger Rabbit?" {« Qui veut la peau de Roger Rabbit? »}


Parodie, hommage, ou plagiat?

Nous avons vu beaucoup d'autoréférentialité dans Monsieur Ferraille, avec ses reproductions de Velma, la Fée Bleue, et Batman et Robin, par exemple, et les études de style nous montre que beaucoup de bédéastes imitent leurs collègues ou leurs « ancêtres », si vous voulez, dans le monde de BD; Pomier nous donne les raisons, et beaucoup d'exemplaires de ce phénomène.

D'abord, on a pour les influences des anciens bédéastes et leurs travails, comme avec Blueberry. Voici une image par Jijé, le créateur:


et puis, une autre, dessinée par Gir, imitant ce style:

Les différences entre les deux sont visibles: il y a plus de hachures dans celle de Gir, et l'épaisseur de son trait est plus fine, mais les deux dessins se ressemblent beaucoup.

Pomier dit aussi que les créateurs de BD imitent les autres bédéastes pour célébrer leur passé {soit avec un hommage, soit avec une parodie}. Il en donne plusieurs exemples, mais je ne vais montrer qu'un, parce que ce message est très long et ce n'est pas un concept compliqué.

Voici une planche de Little Annie Fanny de Harvey Kurtzman, une parodie, bien sûr, de Little Orphan Annie.

Et peut-être de Marilyn Monroe aussi?



Pomier parle aussi des auteurs de BD qui empruntent des thèmes ou des styles d'autres seulement et créent leur propres œuvres, une sorte d'imitation qui n'est pas toujours évidente, comme avec Phil Casoar qui imitait le Louis Forton dans ses œuvres sur Benoît Broutchoux.

Imiter quelqu'un d'autre peut être vu comme le plagiat quand on l'utilise trop, mais les références subtiles sont d'habitude appréciées, comme dans les sketch de John Belushi en Joe Cocker.





La bande dessinée doit-elle être « bien dessinée »?

En parlant du style, j'ai affiché une image de Blutch, qui utilisait à la fois un style simple et un qui était plus réaliste. Au lieu de montrer tous les exemples donnés dans ce chapitre, je vais dire ça: une BD, si elle accomplit son but {donner un message, raconter une histoire, montrer des belles images}, est un succès, aussi « moche » qu'elle soit. Pomier fait mention de Reiser, qui a un style peut-être primitif, mais élimine toujours le superflu. Même si un bédéaste n'utilise pas tout son talent de dessin dans ses œuvres, il ne faut pas considérer ce travail raté.


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